« Retour | n° 30 – 2016/2017. Dossiers : «Arts plastiques/cinéma» et «Mikhaïl Bakhtine et les arts» |
Le cinéma d'exposition qui se montre dans le champ de l'art contemporain depuis le début des années 1990 nous a amenés, comme l’écrit dans ce volume Jean-Christophe Royoux, « à accepter l’existence d’un autre espace de représentation, ayant d’autres règles, d’autres objectifs et une autre histoire ». C’est à l’analyse de cet espace, de ses règles, de ses objectifs et de cette histoire qu'est consacré ce dossier.
Cette question ne fut pas épuisée par ce que Raymond Bellour a appelé en 2012 La querelle des dispositifs car le cinéma se caractérise non seulement par « son pouvoir de transformation de l’art contemporain », comme l'écrit Luc Vancheri, dans sa collaboration, mais aussi parce qu’il est « à entendre comme un art des possibles dont il reste à faire l’histoire ».
Est-ce parce que nous croyons connaître sa naissance et que nous l'avons vu grandir, que nous nous inquiétons tellement, aujourd’hui, de l'avenir du cinéma? Est-ce parce que nous jugeons sa mort possible, qu’il ne faudrait surtout pas en manquer le spectacle? Entre la mort de l'art et l'avenir d'une illusion, cette question semble hanter toute réflexion actuelle sur le cinéma au point de rendre la salle où il se projette, plus crépusculaire qu'obscure.
Si, du fait des logiques commerciales de plus en plus pressantes, le cinéma semble aujourd’hui largement réduit au divertissement, son entrée dans les lieux d’exposition est venu lui rendre la radicalité et le caractère expérimental qui le caractérisaient à ses débuts. Paradoxalement donc, cette pratique qui, à sa naissance, était venue bousculer les arts plastiques, retrouve sa force d’art en les rejoignant dans les lieux et les conditions de leur monstration.
Le passage de la salle de cinéma au musée vient battre en brèche la linéarité de la vision du film. Le hasard de l'arrivée du visiteur l’institue en spectateur et détermine le début de sa vision. Comparaison, coexistence, reconfiguration continuelle des récits, action du corps du spectateur, de ses déplacements sur la réception, temps qui se construit autant qu’il se subit constituent une expérience du cinéma qui interroge notre rapport au monde partagé.
Prenant appui sur les œuvres d’artistes contemporains comme Tacita Dean, Bruce Nauman, Melik Ohanian ou Agnès Varda par exemple, les études réunies dans ce volume de La Part de l’Œil explorent les conséquences de ce déplacement et en dégagent les enjeux poétiques, historiques, esthétiques et politiques.
Dans une seconde partie de ce volume, les collaborations rassemblées montrent combien il est fructueux de se tourner vers la pensée de Mikhaïl Bakhtine pour aborder la plasticité. La théorie des arts plastiques a depuis toujours emprunté ses concepts à la pensée littéraire, à la théorie du langage, à la linguistique, à la sémiologie. Il en va de même pour ses emprunts à la narrativité. Pour le lecteur francophone, voir resurgir aujourd’hui la figure de Mikhaïl Bakhtine peut paraître anachronique alors que cette pensée est restée agissante aux États-Unis et au Royaume-Uni. Sont abordées également les relations entre la pensée de Bakhtine et celles d’Althusser et Deleuze/Guattari. Alexander Streitberger, au travers de l’intérêt de Jeff Wall pour la pensée de Mikhaïl Bakhtine, évoque lui également les relations entre spectateur de cinéma et spectateur d’exposition faisant ainsi le lien entre le dossier consacré à Mikhaïl Bakhtine et celui consacré au cinéma d’exposition.
Sommaire
Dossier : Arts plastiques/cinéma
Dossier : Mikhaïl Bakhtine et les arts