« Retour | n° 37 – 2023. Dossier : Suspendre le temps, continuer l’espace. La division lessingienne à l’épreuve des arts |
Ce numéro de revue part d’un étonnement que ressentira quiconque s’interroge sur la spécificité des arts et donc sur leurs frontières représentationnelles – ne fût-ce que dans le but de mieux comprendre les jeux d’interférences et les pratiques d’hybridation artistique qui les caractérisent. Cet étonnement porte d’une part sur l’écart entre la théorie et la pratique des arts, et d’autre part sur l’historicité de concepts que l’on voudrait tenir pour permanents ; il concerne, ainsi, la légitimité des définitions et des catégorisations de réalités artistiques mouvantes mais généralement cloisonnées. La théorie de l’art n’a pourtant peut-être jamais été, depuis l’Antiquité, qu’une histoire de partage entre les formes artistiques.
Cette théorie classique de l’art trouve sa formulation la plus répandue dans l’adage horatien ut pictura poesis, qui pose un parallélisme entre une peinture définie comme « poésie muette » et une poésie définie comme « peinture parlante ». « Lisez l’histoire et le tableau, afin de connaître si chaque chose est appropriée au sujet », recommandait Poussin à Chantelou lorsqu’il lui envoya le tableau de La Manne. Ce parallélisme est toutefois de plus en plus remis en question à la fin du XVIIe siècle par des théoriciens qui visent à souligner la différence artistique et donc la spécificité des arts bien plus que leur parenté. Le célèbre Laocoon ou Des frontières respectives de la peinture et de la poésie de Gotthold Ephraim Lessing, paru en 1766, marquera l’apogée de cette approche critique.
Deux cent cinquante ans plus tard, la conceptualisation lessingienne a toujours de quoi étonner. Tout d’abord, parce qu’elle s’est imposée durablement dans la théorie esthétique malgré ses maintes remises en question ; ensuite, parce que cette conceptualisation n’a cessé d’être déjouée dans la pratique. Les spécialistes de la littérature comme les historiens de l’art l’ont souvent souligné depuis le milieu du XXe siècle, et c’est aussi ce qui a motivé le projet de ce numéro de La Part de l’œil. L’ambition des études réunies ici est en effet d’interroger la pertinence, les enjeux et les effets de la catégorisation lessingienne, non pas dans le but de revenir à un ut pictura poesis inadéquat à la réalité des arts plastiques et littéraires, mais de questionner cette (confortable) catégorisation vis-à-vis des différents media depuis le Moyen Âge, en montrant que plusieurs formes de temps et d’espace sont expérimentées dans l’ensemble des arts qui n’ont cessé de déjouer, de transgresser, voire de reformuler ces catégories lessingiennes de la représentation – et cela déjà bien avant le développement de l’impressionnisme dans l’histoire de la peinture, ou le Coup de dés mallarméen en littérature.
Sommaire :
Le temps des images
L’espace des mots
Parcours de l’oeil
Le temps de lire
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Varia
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Annonce :
Fabula : https://www.fabula.org/actualites/112163/suspendre-le-temps-continuer-l-espace.html