« Retour | n° 39 – 2025. Dossier : Lire, décrire, interpréter. Louis Marin entre texte et image |
Le philosophe Louis Marin (1931-1992) a été surtout identifié comme un théoricien de l’image. Autour de 1990, Norman Bryson le rapprochait de la « New Art History » anglophone et Thomas Mitchell le citait parmi ceux qui auraient secoué l’histoire de l’art de son « sommeil dogmatique ». En France, Marin a été la source importante d’un renouvellement de l’histoire de l’art, surtout parmi ceux qui ont voulu se démarquer de l’autorité par exemple d’André Chastel. On trouve cependant également son influence dans d’autres domaines, à commencer par la littérature, à travers ses travaux sur Pascal et Port-Royal, Montaigne, Stendhal, Perrault ou La Fontaine, pour ne citer que quelques exemples. On constate toutefois que dans ce domaine aussi, c’est en quelque sorte l’image qui est au cœur de ses préoccupations, jetant les bases d’une reconsidération radicale de ce qu’on appelle de manière souvent figée « les relations texte-image ». Des auteurs comme Bernard Vouilloux ou Bertrand Rougé inscrivent ainsi leurs travaux dans ce sillage.
Si cette reconsidération des relations entre texte et image est si radicale, c’est que Marin a été un théoricien moins de l’image que de la figure (pour utiliser un terme largement employé par lui-même, ressortissant aussi bien à la rhétorique qu’à la théorie de l’art et à la théologie), c’est-à-dire le théoricien du lieu où s’entrecroisent l’image et la parole, la perception et le langage, le regard et l’écriture – le lieu de leur « concrétion », pour reprendre son vocabulaire. C’est d’un autre rapport entre ces deux plans essentiels du sens dont il est question dans ses écrits ; autre, du moins, que celui postulé par une histoire de l’art dont Erwin Panofsky est souvent présenté, à tort ou à raison, comme le patriarche : une historiographie où le texte se situe en amont de l’œuvre d’art, comme son explication, comme le code de sa lecture, alors que ce qui s’affirme chez Marin est une configuration où l’œuvre et le discours (ou le texte et l’image à l’intérieur d’une œuvre) renvoient l’une à l’autre sans qu’une véritable priorité ne puisse jamais s’établir. Il rejoint par là un programme que Roland Barthes avait ouvertement formulé pour la critique littéraire au moins dès 1963 : remplacer l’analogie entre des parties d’une œuvre et des documents extérieurs à celle-ci par l’homologie entre la totalité de l’œuvre et d’autres totalités (discursives, sociales, historiques, psychiques,…).
Ce volume se propose d’explorer les apparitions et transformations de ce jeu du texte et de l’image à partir de Louis Marin, mais aussi de les situer dans une multiplicité de tentatives visant à reconfigurer les liens entre image et texte, œuvre et discours, art et littérature.
Sommaire
Agnès Guiderdoni & Giacomo Fuk : Introduction
Bernard Vouilloux : L’image comme problème
Laura Marin : Décrire une image, écrire un regard
Baptiste Tochon-Danguy : De la tête coupée au lac immobile : instant, temps et éternité chez Louis Marin, entre discours et regard
Giorgio Fichera : Adresse queer et opacité du genre dans la peinture à Rome entre le XVIe et le XVIIe siècles
Benoît Tane : Schefer, Marin, Lyotard, 1969-1971. “Discours” et “figure”, une concurrence sémiologique ?
Laurent David & Lionel Maes : Méthode
Adnen Jdey : Entre théorie de la représentation et histoire de l’art :une phénoménologie en trompe-l’oeil ? Marin lecteur de Husserl
Stefano De Bosio : “Un corps endormi”. Jalons pour une anthropologie du tableau chez Louis Marin à partir de Poussin
Vincent Debiais : Le Moyen Âge, avec ou sans Louis Marin ?
François Herreman :Lire Marin pour voir Titien : peinture, sculpture, signature
Danielle Desloges :Les nuages sombres comme figures de la peste dans l’art vénitien de la Renaissance : une illustration de la pensée de Louis Marin
Jorge Rizo-Martinez : Les “images sonores” dans le Pelerin de Lorette, de Louis Richeome
Isabelle Ost : Louis Marin et la représentation cartographique. Entre transparence et opacité, idéologie et utopie
Cécile Massart : Un site archivé
Nigel Saint : Lire Louis Marin avec Pierre Fédida : écouter, écrire, dialoguer
Florence Dumora : Pouvoirs du comme chez Louis Marin et La Fontaine : « Le statuaire et la statue de Jupiter »
Jérémie Ferrer-Bartomeu : La figure du ministre ou le troisième corps du roi. Contribution à l’histoire des représentations et des matérialités politiques (Europe, première modernité)
Maxime Cartron : Baroques et classicismes chez Louis Marin : vers une essence du politique
Tom Conley : Gloses et entreglose. Lire et voir Des pouvoirs de l’image
Alain Cantillon, Giovanni Careri & Pierre-Antoine Fabre : Héritage de Louis Marin | Entretien avec Alain Cantillon, Giovanni Careri et Pierre-Antoine Fabre